Nb 12,3 Mt 11,28-30
Ce matin, j’aimerais que nous nous penchions sur le sens que la Bible donne aux deux mots « humilité » et « douceur ».
Pour comprendre le mot « humilité », je vais d’abord parler de la rencontre de Moïse avec Dieu au buisson ardent, c’est-à-dire 40 ans après que Moïse se soit enfui d’Égypte, après avoir tué un Égyptien qui maltraitait un de ses frères hébreu ( Ex 2,11-15 ).
Au début de l’épisode du buisson ardent, Dieu se révèle à un Moïse qui se cache le visage car il n’est pas à l’aise de se trouver dans la présence divine. On peut le comprendre ! Puis Dieu lui confie une mission : « Maintenant, va, je t’envoie vers le Pharaon ; fais sortir d’Égypte, mon peuple, les Israélites. » (Ex 3,10)
Moïse n’est pas très chaud pour obéir : « Qui suis-je pour aller vers le Pharaon et pour faire sortir d’Égypte les Israélites ? » (Ex 3,11). Il ne se sent pas « capable » de faire ce que Dieu lui demande.
Peu après, (v. 14) Dieu demande à Moïse d’aller parler au peuple pour lui dire : « Le Dieu de vos pères… m’a envoyé vers vous ». Mais Moïse répond : « Ils ne me croiront pas, ils n’écouteront pas ma voix » (4,1). C’est le même sentiment d’incapacité qui le fait parler ainsi.
Alors, Dieu lui donne 3 signes pour lui faire comprendre qu’il l’accompagnera dans la mission qu’il lui confie : son bâton se transforme en serpent, sa main se couvre de lèpre, mais guérit aussitôt, et l’eau du Nil que Moïse verse sur le sol se transforme en sang.
On pourrait penser qu’avec ces signes hors du commun, Moïse fasse enfin confiance à Dieu. Eh bien non ! Moïse objecte, cette fois-ci, qu’il a des difficultés pour parler et s’écrie : « Ah ! Seigneur, envoie qui tu voudras envoyer » (4,13).
Alors, le texte nous dit que « la colère de l’Éternel s’enflamma contre Moïse ». Et il lui annonce qu’il sera assisté de son frère Aaron qui deviendra son porte-parole : « Tu lui parleras et tu mettras ces paroles dans sa bouche ; et moi, je serai avec sa bouche et avec ta bouche, et je vous enseignerai ce que vous aurez à faire » (v. 15).
Dans la compréhension courante de ce qu’est l’humilité, on pourrait penser que c’est dans ces refus successifs d’obéir, que Moïse s’est montré humble. Pourquoi ? Parce qu’il ne se sentait pas capable de faire ce que Dieu lui demandait.
Je pense que nous sommes nombreux à nous reconnaître dans l’attitude de Moïse ! Dieu nous demande de faire quelque chose, mais nous ne nous sentons pas capable, et nous pensons que c’est par humilité que nous refusons.
En fait, l’attitude de Moïse n’a rien à voir avec l’humilité. En réalité, c’est une forme cachée d’orgueil. Je parle de « forme cachée » d’orgueil, car, en effet, l’orgueil peut se manifester de deux façons opposées : soit en se vantant d’être capable de tout faire mieux que les autres. Exemple d’une phrase entendue : « Quand on est le meilleur et qu’on le sait, pourquoi ne pas le dire ? ». Soit en prétendant qu’on n’est pas capable de faire ce que Dieu nous demande.
Les refus réitérés de Moïse à la demande de Dieu font partie de la seconde catégorie d’orgueil.
Comment expliquer le paradoxe de l’orgueil qui se cache derrière la fausse modestie ? C’est assez simple : À ce moment de sa vie, Moïse envisageait d’agir en ne se servant que de ses propres capacités et ses propres forces. Son éducation au palais du Pharaon, centre du pouvoir absolu, n’était sans doute pas étrangère à sa tournure d’esprit dans ce domaine.
C’est un tout autre Moïse que nous retrouvons dans les chapitres qui suivent : On voit Moïse faire tout ce que Dieu lui demande. Cela vient-il du fait que les missions que Dieu lui confies sont plus faciles ? Non ! Au contraire. Alors, qu’est-ce qui a changé ? C’est exactement le même homme, mais au lieu de se fier à ce qu’il pense être capable de faire, Moïse va désormais faire confiance à Dieu. Et jour après jour, il fera ce que Dieu lui demandera de faire. Au lieu de placer sa confiance en lui-même, il la place désormais en Dieu. C’est cela, l’humilité : dépendre de Dieu, compter sur Dieu, s’attendre à Dieu dans tous les domaines de sa vie. L’humilité, c’est donc l’antithèse de l’orgueil. L’orgueilleux attend tout de lui et en fait, soit un motif de satisfaction personnelle, soi une bonne excuse pour refuser. L’homme humble, lui, attend tout de Dieu et en fait un motif de reconnaissance, et cela fait grandir sa foi.
Nous avons dans les Évangiles le modèle d’un homme parfaitement humble : cet homme, c’est Jésus. Je parle de Jésus-homme, car nous avons trop tendance à uniquement voir en Jésus le Fils de Dieu. Bien sûr, il est le Fils de Dieu ! Mais lorsqu’il était sur terre, il était vraiment homme. À part le péché, il a connu tout ce que les hommes connaissent : la faim, la soif, les tentations, la fatigue, la joie, la tristesse, le rejet, le mépris, la douleur, la souffrance, la mort. C’est bien parce qu’il a partagé tout ce qu’un homme peut connaître, que les hommes de toutes les générations peuvent s’inspirer de la façon dont il a vécu sur terre. S’il n’avait pas pris et partagé notre nature humaine, s’il avait été seulement Dieu, lorsqu’il était sur terre, comment les hommes pourraient-ils espérer lui ressembler, essayer de vivre comme il a vécu ?
Inconsciemment, on pense : Il a résisté au Diable : c’est normal, il était Dieu ! Il a guéri les malades, ressuscité les morts : c’est normal, il était Dieu ! Il a chassé les démons : c’est normal, il était Dieu.
NON, frères et sœurs ! Sur terre, Jésus était un homme au même titre que vous et moi. Sur terre, Jésus n’avait pas de pouvoirs à lui. Il n’en avait pas plus que vous et moi. Il s’est uniquement servi de la puissance et de l’autorité qu’il recevait de son Père. Exactement comme chaque croyant peut le faire s’il manifeste la même humilité que Jésus. C’est la raison pour laquelle la même autorité que Jésus recevait de son Père, a opéré tout au long des siècles, et opère, encore aujourd’hui, guérisons, miracles et délivrances à travers des chrétiens humbles.
Pour comprendre cela — et il est très important de le comprendre — n’oublions jamais ce que Jésus a dit à ses détracteurs après la guérison de l’infirme de Béthesda, concernant la puissance qu’il avait manifestée : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire par lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père » (Jn 5,19).
Gravons cela dans notre esprit : sur terre, Jésus n’a jamais rien fait par lui-même ; il a tout reçu de son Père. C’était cela, la preuve de son humilité : il attendait tout du Père.
C’est le chemin sur lequel tout croyant est invité à marcher : s’attendre de Dieu, être dépendant de Dieu, être soumis à Dieu. Car c’est seulement avec des chrétiens « humbles » que Dieu pourra réaliser ses plans.
Cela étant, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : Sur terre, Jésus était vraiment homme. Mais il était aussi de nature divine ; ce que nous ne sommes pas. Il est né d’une femme, comme nous tous, mais Lui a été conçu par l’Esprit ; pas nous. Il est mort, comme nous mourrons tous un jour, mais sa mort sur la croix a servi au salut des hommes ; pas la nôtre ! J’espère que cela est bien clair pour tous.
L’attitude humble, qui comme je l’ai dit, consiste à s’attendre à Dieu, à dépendre de Dieu, n’a rien à voir avec la passivité. La passivité, ce n’est pas ce que Dieu nous demande. Le Moïse de la sortie d’Égypte n’a jamais été passif, Paul non plus, pas plus que Jésus. L’Esprit-Saint qui a été répandu sur les hommes depuis la Pentecôte n’est pas un esprit de confinement ou de passivité. C’est au contraire un Esprit qui rend les hommes actifs au service de Dieu, par l’amour, la puissance et l’autorité qu’ils reçoivent de Dieu.
Que veut dire être actif « au service de Dieu » ? Cela veut dire manifester de l’amour aux autres hommes. Car c’est en aimant et en servant les hommes qu’on se met au service de Dieu. Souvenons-nous de ce que Jésus a dit à ce sujet : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).
Et souvenons-nous aussi, comme nous l’a dit Pierre Ledent il y a 3 semaines, que vouloir aimer avec ses propres forces est peine perdue. Nous ne pouvons vraiment aimer les autres que lorsque nous recevons cette capacité de Dieu lui-même. Là aussi, nous devons faire preuve d’humilité, c’est-à-dire compter sur Dieu, et s’attendre de Lui. N’oublions jamais ce que Jésus a dit en commentant la parabole du cep et des sarments : « Moi, je suis le cep ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi comme moi en lui, porte beaucoup de fruits, car sans moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15,5).
Je vous propose maintenant de voir ce que la Bible entend par le mot « douceur ». Je remarque que lorsqu’il parle de lui, dans le texte de Matthieu, Jésus associe douceur et humilité : « Je suis doux et humble de cœur », dit-il ( Mt 11,29 ).
Je veux souligner que la « douceur » est mentionnée dans ce que Paul appelle « le fruit de l’Esprit » ( Gal 5,22 ). Il ne s’agit donc pas de la « douceur » d’un soir d’été, ni de celle d’un carré de chocolat sur le palais, ni même d’une douceur de caractère qui ressemble à la passivité ou à la fuite devant le moindre désaccord ou conflit. La douceur de la Bible vient de l’Esprit et elle est intérieure et reçue de Dieu lorsqu’on marche par l’Esprit.
Dans sa première épitre, Pierre parle de la douceur comme « la parure cachée du cœur, la parure personnelle inaltérable d’un esprit doux et tranquille » ( 1 P 3,3-4 ). Mais à qui Pierre recommande-t-il de faire preuve de cette douceur ? Aux épouses qui ont des maris incroyants, afin de les gagner à Christ, sans parole, précise-t-il. C’est dire à quel point la douceur peut être puissante pour transformer un cœur incrédule. Est-ce étonnant, puisque ce trait de caractère fait partie du fruit de l’Esprit !
Nous pouvons donc tirer un enseignement : cette douceur-là n’est pas liée aux circonstances ; elle n’est pas fluctuante ; elle n’est pas feinte non plus. Elle est reçue et fait partie de l’être profond lorsque le croyant laisse libre cours à l’Esprit-Saint en lui.
Je viens de mettre en garde contre une douceur feinte. En effet, avec un peu d’entrainement et beaucoup d’hypocrisie, il est relativement facile d’afficher une attitude sereine et des paroles apparemment douces, à l’occasion d’un conflit entre membres d’une famille ou d’une église. L’affichage extérieure est peut-être parfait, mais qu’en est-il côté cœur ? Nous avons tous expérimenté qu’il y a souvent un hiatus entre ce que nous affichons extérieurement et ce que vivons intérieurement. Et la tempête que cela engendre peut durer longtemps, hélas !
Lorsqu’on entretien de la rancune, lorsqu’on a envie de se venger, même si on ne le fait pas, lorsqu’on élabore une stratégie pour prouver à l’autre qu’il a tort, c’est la preuve formelle que nous avons beaucoup de chemin à faire pour être doux comme Jésus.
Pour Jésus, la trahison de Judas ou le reniement de Pierre n’ont pas déclenché des tempêtes dans son coeur. Il ne s’est pas départi de sa douceur lorsque les principaux sacrificateurs et le scribes l’accusaient avec véhémence pendant son procès, ou lorsque Hérode et ses gardes le traitaient avec mépris et se moquaient de lui ( Lc 23,10-11 ). Ou lorsque, déjà crucifié, il adressait cette prière à son Père : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ( Lc 23,34 ).
Pourquoi est-il resté le même ? Parce que la relation avec son Père était tellement au cœur de sa vie, que rien ne pouvait l’altérer, pas même les injustices et le mépris dont il a été victime.
Cette douceur que Jésus a réellement vécue est-elle hors de notre portée ? Si nous répondons « oui », cela voudrait dire que le Saint-Esprit dont Jésus était rempli n’est pas le même que celui dont nous sommes remplis. Nous voyons bien que cela est stupide. Il n’y a qu’un seul Esprit-Saint.
Si l’Esprit-Saint ne produit pas en nous la douceur qu’il produisait en Jésus, cela veut certainement dire que nous ne le laissons pas agir en nous comme Jésus le laissait agir en lui. Et l’explication la plus probable, c’est que l’Esprit-Saint trouve des obstacles dans nos vies, ce qui l’empêche d’agir comme il le voudrait.
Je remarque que Jésus n’a pas seulement dit qu’il était « doux ». Il a précisé : « Je suis doux ET humble de cœur ». Est-il possible de dissocier douceur et humilité ? NON ! Car ces deux attitudes sont la preuve d’une relation intime avec Dieu, par l’Esprit Saint qui agit en nous. Ainsi, l’humilité et la douceur sont associées l’une à l’autre dans la parole de Jésus, mais aussi dans une parole de Paul qui parle de la vocation du chrétien : « Je vous exhorte… à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience » (Eph 4,1-2).
Il est impossible que l’humilité, qui dispose le cœur de l’homme à ne s’attendre qu’à Dieu, n’entraîne pas avec elle la douceur. Et vice-versa. Dans le cas contraire, il faut s’interroger sur la réalité de notre douceur ou de notre humilité.
Chers frères et sœurs, vous ne vous sentez pas doux et humbles comme Jésus ? Tiens donc, comme c’est bizarre !
Il n’y a qu’une seule chose à faire : lui demander, encore et encore, cette douceur et cette humilité, en laissant au Saint-Esprit de plus en plus de place dans notre vie.