Tite 2, 11-14
Créé à l’image de Dieu, l’homme est le seul être de la création destiné à être en communion avec le Créateur. Cette communion a été brisée par la chute et l’irruption du mal. C’est ce qu’on peut lire au chapitre 3 de la Genèse. Mais heureusement, elle nous est rendue par la révélation de Jésus-Christ.
En effet, c’est par Lui que l’homme déchu est rétabli dans sa relation avec le Père. L’homme pécheur était incapable de retrouver la communion avec Dieu par ses propres moyens, et de s’y maintenir. C’est Dieu qui a pris lui-même l’initiative. C’est en cela qu’il a prouvé son amour pour nous.
Qu’est-ce que la piété ? C’est la réponse de l’homme à cette immense grâce de Dieu : Le croyant engage toute sa vie et son être, dans une juste relation avec Lui. Cette relation s’exprime de diverses manières : Au travers de la prière, du chant, de la méditation des Écritures. Mais elle s’exprime aussi par d’autres mots.
S’il ne nous est rien prescrit de très concret quant à son exercice, et si le mot « piété » n’apparaît qu’ici ou là dans nos versions françaises, le vocabulaire exprimant l’attachement profond et sincère au Seigneur est omniprésent dans la Bible. Ce que recouvre le mot « piété » se trouve exprimé très souvent par d’autres substantifs : fidélité, amour, crainte, etc…
La relation à Dieu se traduit non seulement par des actes tels que des vœux, des sacrifices, des offrandes, mais aussi par une attitude de respect, d’amour et d’obéissance qui affecte toute l’existence de l’homme et sa façon de vivre. C’est dans ce sens que le prophète Osée dit à Israël de la part de Dieu : « J’aime la piété et non les sacrifices, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Osée 6,6). Le prophète Samuel, en reprenant le roi Saül, s’exprime ainsi : « L’Éternel trouve-t-il du plaisir dans les holocaustes et les sacrifices, comme dans l’obéissance à la voix de l’Éternel ? Voici, l’obéissance vaut mieux que les sacrifices » (1 S 15,22).
Les exhortations du Nouveau Testament assimilent toujours la piété à la crainte de Dieu, c’est-à-dire le renoncement au mal et la recherche du bien, ainsi que la sainteté (2 P 3,11) et les vertus morales : « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses (le désir de richesse et les péchés qui l’accompagnent), et recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur » (1Tm 6,11).
Toute notre piété doit être motivée par le désir de grandir dans la connaissance de notre Sauveur et frère, Jésus-Christ. Il s’est acquis notre amour et notre reconnaissance éternelle en donnant gratuitement sa vie pour nous. Puisque nous avons découvert et goûté, à travers lui, la bonté du Seigneur et la joie intérieure du Saint-Esprit, nous nous attachons à lui et cherchons à l’être de plus en plus, au travers de tout ce que nous comprenons de sa Parole, et de tout ce que nos faisons et pensons.
Quels sont les obstacles à la piété ?
Pour de nombreuses raisons, maintenir une vie de piété représente un combat. Notre rythme de vie et nos activités diverses ne nous laissent que très peu de temps libre ; ce manque de temps est un premier obstacle. Nous nous imaginons parfois que les hommes pieux de l’Ancien ou du Nouveau Testament étaient beaucoup moins occupés que nous, et qu’ils n’avaient d’autres occupations que leurs prières. Or, David, qui priait et chantait en tout temps, comme en témoignent les nombreux psaumes qu’il a composés, était roi, avec tout ce que cela implique de responsabilités. Les chrétiens, à qui s’adressaient les épitres, étaient aussi très occupés ; certains étaient esclaves et n’avaient vraisemblablement que peu de temps pour se restaurer et dormir. Et Paul, qui rend témoignage d’une piété continue et exemplaire, prêchait et s’occupait des églises dans la journée, tandis qu’il fabriquait des tentes la nuit (Act 18,3). Aussi, rien ne peut nous empêcher de servir Dieu intérieurement, d’avoir l’esprit tourné vers lui, et de le prier sans cesse (1 Th 5,17).
Bien que nous n’ayons pas tous un programme de ministre, il est vrai que de nombreuses contraintes nous sont imposées par le quotidien. Mais celles-ci ne sont pas réellement des obstacles à la piété. Pourquoi ? Tout d’abord parce que la piété n’est pas avant tout une affaire de temps libre, mais plutôt une question d’attachement et de dépendance au Seigneur, en toutes circonstances : « Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de grâce à Dieu le Père » (Col 3,17).
Ensuite, parce que ce qui nuit le plus souvent à notre vie spirituelle, ce n’est pas tant notre charge professionnelle ou familiale que nous pourrions sans doute assumer avec piété, mais l’importance que nous accordons à nos loisirs et à la recherche de plaisirs de tous ordres. Nous ne mesurons pas toujours la portée de notre privilège d’enfant de Dieu. Aussi nous négligeons souvent la vie en Christ et oublions presque que nous avons une âme. Nous la négligeons au profit de nos plaisirs mondains, de notre désir de culture, ou de l’attachement à notre corps qui prend parfois une grande place dans notre quotidien.
Beaucoup de choses nous détournent des vraies préoccupations et des biens du royaume. Cet attachement ne peut se faire qu’au détriment de la piété : « Exerce-toi à la piété, dit Paul à Timothée, car l’exercice corporel est utile à peu de choses, tandis que la piété est utile à tout. Elle a la promesse de la vie présente et de la vie à venir » (1Tm 4,8).
Les distractions numériques disponibles à la maison, portent aussi un sérieux coup à la vie de prière et à la piété familiale. Les médias, (la télévision, la radio, les réseaux sociaux) quasi omniprésents, nous plongent dans une nuée vertigineuse d’images, d’informations et de sonorités bruyantes, si bien qu’il nous devient très difficile de nous retrouver seuls ou en couple, devant Dieu, en vue de la prière. Plus le numérique a libre cours et domine notre existence, moins le silence, la solitude, qui sont des conditions souhaitables ne serait-ce que pour penser, sont possibles.
Ainsi, sans cesse distraits et anesthésiés, incités aux loisirs et au relâchement, nous perdons de vue les réalités spirituelles. Nous en venons même à ignorer nos besoins, à ignorer la misère de notre âme vide et blessée ; nous dépérissons intérieurement, faute de nous abreuver à la véritable source.
Nous devons être conscients que ce mal est un mal spirituel. Il n’est pas fortuit. C’est un effet de la civilisation moderne, décrite par Georges Bernanos comme une « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». L’emprise de l’esprit du temps et le pouvoir du refuge dans l’image, semblent être si forts, que le combat pour nous en séparer peut nous paraître perdu d’avance.
Cependant, nous ne pouvons abdiquer devant l’impiété si celle-ci nous gagne, s’empare de nos cœurs et frustre le Seigneur du culte qui lui est dû : Jésus a dit : « Veillez donc et priez en tout temps, afin que vous ayez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de paraître debout devant le Fils de l’homme » (Lc 21,36). L’apôtre Jean a écrit : « La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi. Qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le fils de Dieu ? » (1 Jn 5,4-5).
Nos pensées, nos désirs instinctifs ainsi que nos convoitises, nous portent spontanément vers le gain, la jouissance, la mondanité ; en somme vers tout autre chose que la piété. Si nous ne renonçons pas clairement aux plaisirs du monde et à l’impiété, qui est notre pente naturelle, il serait vain de nous imposer des limites, de corriger sans cesse notre manière de vivre. Sans cette renonciation, il nous serait impossible d’entrer dans une vie nouvelle, avec une orientation et des affections nouvelles, données par l’Esprit.
Même l’activisme religieux, qui n’est qu’une passion pour l’œuvre et pour l’action, peut nous faire perdre vue la bonne part, comme le Seigneur l’a reproché à Marthe : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Or, une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part qui ne lui sera pas ôtée » (Lc 10,41).
Attachés à nos projets, nous désirons ardemment que les choses bougent. La piété nous conduit plutôt dans une autre direction. Elle requiert fidélité, abandon, don et perte de soi. Il nous faut donc traiter le mal à la racine, et accepter que l’inclination charnelle soit jugée et crucifiée. En effet, elle ne peut que nous rendre indifférents, voir hostiles à l’égard de Dieu.
Aussi, attachons-nous à lui, ainsi qu’aux choses d’en haut, afin de vivre par l’Esprit, et d’être conduits dans un service produisant des fruits spirituels : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas soin de la chair pour en satisfaire les convoitises » (Rm 13,14). « Affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre » (Col 3,12).
La grâce accordée en Jésus-Christ nous donne accès à tout. Aussi, nos quelques renoncements ne sont rien par rapport à ces trésors promis pour la vie présente et celle à venir.
Paul en était persuadé. C’est pourquoi il envisageait avec joie sa course et son action au service du Seigneur : « Je considère tout comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin de gagner Christ, et d’être trouvé en lui, non avec une justice qui serait la mienne, mais avec la justice qui est obtenue par la foi en Christ, une justice provenant de Dieu et fondée sur la foi » (Ph 3,8-9).