Jean 2020, 19-29
Jésus a multiplié ses apparitions après qu’on ait découvert le tombeau vide.
La première concerne Marie-Madeleine, dès les premières heures du dimanche (Jn 20,1). La seconde concerne les 2 disciples d’Émmaüs, dans l’après-midi de ce même jour (Luc 24,13-15). La troisième concerne Paul, le même jour (1Co 15,5).
Notre texte rapporte la quatrième apparition, qui a lieu le soir du dimanche, avec tous les disciples, sauf Thomas. Il y en aura une cinquième, huit jour plus tard, avec les disciples et Thomas.
Quatre autres apparitions suivront, jusqu’à celle de l’ascension. Parmi elles, celle où Jésus apparaît à une foule de 500 croyants (1 Co 15,6).
Était-il important que Jésus se montre vivant, après sa crucifixion et son ensevelissement ? Bien sûr ! Les principaux sacrificateurs auraient bien aimé que leur stratagème, qui consistait à faire croire que les disciples avaient enlevé le corps de Jésus, soit accepté comme une vérité (Mt 28,11-15). Ils auraient été débarrassés de l’idée embarrassante pour eux d’un Jésus revenu à la vie. Nous voyons que les fake news sont vieilles comme le monde.
Mais ce qui est beaucoup plus important, car c’est le but des apparitions, c’est que Jésus voulait donner des preuves irréfutables de sa résurrection aux disciples qui l’avaient connu en chair et en os. Jésus connaît l’incrédulité du cœur humain. Il fallait aux disciples une preuve incontestable. C’est la raison pour laquelle, en plus d’apparaître devant ses disciples, le v. 10 nous dit : « il leur montra ses mains et son côté », comme une preuve que c’est bien lui qu’ils ont vu mourir, cloué sur la croix, et mis dans un tombeau, et qui est maintenant vivant devant eux.
Si nous nous mettons à la place des disciples présents, quelle aurait été notre attitude en voyant Jésus apparaître soudainement au milieu de nous, alors que toutes les portes de la pièce où nous nous étions étaient fermées, c’est-à-dire vérouillées ?
Le texte de Luc 24,36-37 qui rapporte la même scène nous dit que les disciples étaient « saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit ». Il faut reconnaître que c’est une situation qui sort de l’ordinaire ; les disciples l’ont vécu deux fois, à huit jours d’intervalle, la seconde fois avec la présence de Thomas (v. 26).
Comment peut-on expliquer l’apparition soudaine de Jésus dans la pièce dans laquelle les disciples sont enfermés à double tour, « par crainte des Juifs », nous dit le texte ? On a l’impression de regarder un film avec un effet spécial, où l’on voit un personnage passer à travers une porte ou un mur. La raison humaine a du mal à concevoir que Jésus ait pu faire la même chose, mais sans trucage.
C’est bien pour cela que les exégètes qui ne veulent pas faire une entorse à l’infaillibilité de leur raison, expliquent que les disciples ont ouvert les portes à Jésus, ou qu’elles se sont ouvertes toutes seules —comme dans Act 12,10, où Pierre sort de prison miraculeusement. C’est moins dérangeant pour la raison ! D’accord ! Mais comment se fait-il que ces mêmes exégètes ne soient pas dérangés par la résurrection qui bouscule aussi la raison ? La seule réponse que je peux apporter est ma propre incohérence : Je n’avais aucun mal à accepter tous les miracles rapportés dans les évangiles. Tous, sauf un : la multiplication des pains ! Allez savoir pourquoi ! J’ai quand même fini par l’accepter.
D’autres exégètes qui s’attachent au texte biblique font remarquer que dans la phrase « Jésus vint » le verbe grec « venir » indique plus une apparition subite, qu’une simple entrée de Jésus. Et c’est le même verbe au verset 26, lorsque Thomas se trouve avec les disciples.
Mais alors, si ce n’est pas un trucage hollywoodien, comment expliquer cette apparition qui tient du miracle ? Plusieurs exégètes pensent que « la présence subite de Jésus au milieu des disciples ne peut s’expliquer que par le fait que le corps de Jésus était déjà soumis à la puissance de l’esprit. Bien sûr, ce corps était encore celui qui lui avait servi d’organe pendant sa vie ; mais, comme déjà avant sa mort ce corps obéissait à la force de sa volonté, — pensons à Jésus qui marche sur l’eau (Jn 6,16-21) — maintenant, transformé par la résurrection, il était plus rapproché encore de l’état du corps glorifié et spirituel, dont parle Paul dans 1 Co 15,44 » (Frédéric Godet).
Plusieurs passages des Évangiles suggèrent que le corps de Jésus ressuscité avait dû subir des « transformations » puisque Marie-Madeleine ne reconnaît pas Jésus, et le confond avec le jardinier (Jn 20,14-15). Même chose avec les disciples d’Émmaüs qui marchent un bon moment avec Jésus en lui parlant, et dont le texte dit : « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24,16).
Souvenons-nous aussi que Jésus n’a pas fait qu’apparaître subitement ; il a aussi disparu subitement comme on le voit dans le même récit des disciples d’Émmaüs : « Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux » (Lc 24,31).
Dans notre texte, avez-vous remarqué que, par 3 fois, Jésus dit à ses disciples : « Que la paix soit avec vous » (v. 19, 21 et 26). Ce n’est pas une simple salutation juive. À la rigueur, on pourrait le penser la première fois qu’il prononce ces mots (v. 19). Mais il répète la même formule au verset 21. « Cette salutation a donc un sens plus élevé. Lequel ? Jésus invite ses disciples à ouvrir leur cœur à la paix de la réconciliation qu’il leur apporte en ressuscitant. Convaincre les disciples de la réalité de son apparition, c’était leur donner la preuve de la bienveillance divine qui leur rendait leur Maître, c’était transformer leur frayeur en paix et même en joie ».
« Au v. 21, où Jésus redit la même formule, ce n’est plus seulement comme à des croyants que Jésus veut donner la paix. C’est en vue de leur vocation future. La paix est le fondement de l’apostolat. C’est pour cela que Jésus répète : « La paix soit avec vous », et qu’il ajoute immédiatement : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Ce message de paix et de réconciliation que Jésus leur apporte, ils auront à le prêcher au monde. Voici ce qu’écrit Paul à ce propos : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature… Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné les service de la réconciliation » (2 Co 5, 17-18).
Remarquons une chose importante : Jésus donne d’abord une mission à ses disciples : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Puis il leur donne le don pour accomplir cette mission : « Il souffla sur eux et leur dit : recevez l’Esprit ». Et enfin, il leur révèle la grandeur et la portée de cette mission : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ».
Avant d’expliquer ce verset difficile, il est important de comprendre que la mission de Jésus et celle qu’il confie à ses disciples de tous les temps sont identiques, en ce qui concerne l’évangélisation. Jésus est venu apporter au monde la Bonne Nouvelle de la résurrection ; les disciples sont chargés de poursuivre cette mission.
Comprenons-nous l’importance que Jésus attache à la mission des disciples de tous les temps ? Aucun disciple ne peut s’y soustraire. Et Dieu nous donne tout pour l’accomplir : sa paix et son Esprit.
Venons-en au v 23 qu’il faut essayer de bien comprendre : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ».
Jésus avait le pouvoir de pardonner les péchés (Mt 9,6) ou de les retenir (Jn 15,22-24). Souvenez-vous de l’épisode de la guérison d’un paralytique amené devant Jésus par des hommes, et à qui Jésus dit : « Prends courage, tes péchés sont pardonnée ». Les scribes présents sont scandalisés d’entendre cela : « Cet homme blasphème » disent-ils. Alors, Jésus leur dit : « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés… » Vous connaissez la suite : il ordonne à l’homme de se lever ; et cet homme est guéri. Si Jésus a le pouvoir de guérir un paralysé, il a aussi le pouvoir de pardonner les péchés.
Dans la façon dont le v. 23 est écrit, on pourrait penser que Jésus donne aux disciples le même pouvoir, un pouvoir qui leur appartiendrait. Ce pouvoir appartenait bien à Jésus parce qu’il est la « Parole fait chair » (Jn 1,14). En ce qui concerne les disciples de tous les temps, le pouvoir qui leur est donné de pardonner les péchés vient uniquement de la puissance et de l’autorité de la Parole dont ils sont les messagers.
Je m’explique : Quand au cours du culte dominical le liturge annonce aux personnes présentes que leurs péchés sont pardonnés, après la confession de leurs péchés, Dieu ratifie la parole prononcée. Leurs péchés sont effectivement pardonnés, parce que c’est le pouvoir de la Parole qui rend effectif le pardon, par l’action de l’Esprit-Saint, et non pas par un pouvoir du liturge lui-même. C’est la même chose dans le cadre d’une relation d’aide. Si la personne confesse à Dieu ses péchés, devant vous, vous pouvez lui annoncer et affirmer qu’ils sont effectivement pardonnés, car c’est la Parole qui l’affirme.
Quant aux péchés qui sont retenus, c’est la conséquence des péchés qui ne sont pas reconnus et confessés. En effet, le vrai but de la mission, c’est le pardon des péchés.
Trois versets de la première épitre de Jean nous apportent un éclairage supplémentaire pour comprendre ce que dit Jésus au v. 23 : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice. Si nous disons que nous n’avons pas péché, nous le faisons menteur et sa parole n’est pas en nous » (1 Jn 1, 8-10).
Venons-en à la seconde partie de notre texte : L’incrédulité de Thomas, lorsque ses amis lui disent qu’ils ont vu Jésus vivant. Puis sa rencontre avec Jésus et son revirement complet.
On peut se demander pourquoi Jésus est apparu une deuxième fois aux disciples. Est-ce parce que la première fois, Thomas était absent ? C’est possible. Pourquoi ? Parce que ces douze hommes choisis par Jésus avaient une mission très importante : faire connaître la Bonne Nouvelle de la résurrection au monde entier, en faisant de nouveaux disciples. Ce douzième homme, Thomas, absent au moment de la première apparition, n’était pas de trop pour une telle mission. On peut donc penser que c’est une des raisons pour laquelle Jésus est revenu.
Mais il y en a une autre qui a encore plus de valeur. C’est l’amour que Jésus porte à Thomas. Il ne peut pas se résoudre à ce que ce disciple passe à côté de la foi en la résurrection et ne soit pas rempli de la paix qu’il est venu apporter aux autres disciples. Car comme disciple, il en aura besoin pour accomplir sa mission.
Avez-vous remarqué ce que Jésus dit à Thomas, et rien qu’à lui, lorsqu’il apparaît miraculeusement dans la pièce fermée à double tour ? Je relis le passage : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté ». C’est presque les mêmes paroles que Thomas avait prononcées devant ses amis, pour leur dire qu’il ne pouvait pas croire à la résurrection de Jésus.
Alors, on imagine combien Thomas a dû être confondu et triste en entendant son Maître prononcer les paroles qu’il avait dites huit jours avant pour nier sa résurrection, alors qu’il le voyait bien vivant en face de lui. Il a dû se demander : Mais comment Jésus a-t-il su ce que j’avais dit à mes amis ! J’imagine qu’il n’oubliera jamais ce moment de sa vie !
Jésus ne lui fait pas de reproche. Il lui dit seulement : « Ne sois pas incrédule, mais crois ! ». Cette parole déclenche immédiatement un cri d’adoration : « Mon Seigneur et mon Dieu » et le fait passer de l’incrédulité à une foi profonde.
Que serait devenu Thomas, s’il n’avait jamais rencontré Jésus vivant ? Aurait-il persisté dans son incrédulité ? On ne peut pas répondre avec certitude à cette question.
Ce qui est important, c’est que Jésus s’adresse à lui une dernière fois « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’on pas vu et qui ont cru ! »
« Dans la dernière phrase, Jésus souligne le caractère tout nouveau de l’ère qui commence : Désormais, la foi des croyants devra se fonder sur le témoignage apostolique rapporté dans les Évangiles. Elle ne sera plus fondée sur la vue, comme celle de Thomas, avant que Jésus apparaisse.
S’il n’en était pas ainsi, c’est-à-dire si la foi était fondée sur la vue, la foi ne serait plus possible dans le monde. Car Jésus n’apparaîtra plus vivant devant chaque homme, comme il l’a fait avec ses premiers disciples. Est-ce à dire qu’ils étaient avantagés par rapport à nous ? Non ! Le Saint-Esprit que Jésus ressuscité a répandu sur les hommes, après être remonté vers le Père a le même pouvoir de conviction qu’une apparition en chair et en os, pour ceux qui acceptent de se laisser interroger par les textes de la Bible.
Nous savons, hélas, que des centaines de millions d’hommes aujourd’hui, demandent à voir pour croire, comme Thomas, avant que Jésus apparaisse vivant devant lui.
C’est tout l’enjeu de l’évangélisation que chaque croyant est appelé à vivre. Approprions-nous la Paix que Jésus a donné à ses disciples en leur confiant cette mission. Approprions-nous la paix qu’il nous donne aujourd’hui encore, et comptons sur la puissance de l’Esprit avant de compter sur nos propres forces.
