• le 3 décembre 2023

ÊTRE DISCIPLE DU CHRIST

Alain NADAL

Lc 14,25-35

   Ces paroles de Jésus ne sont pas faciles à comprendre. En effet, il demande d’abord à ses auditeurs de haïr ceux qui nous sont les plus proches et les plus chers : son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et il ajoute :et même sa propre vie. 

  Si nous ne remplissons pas ces conditions, Jésus affirme que nous ne pouvons pas nous considérer comme un de ses disciples.

   Puis vient une autre condition exigente : il faut porter sa propre croix et le suivre.

 Les deux paraboles qui suivent sont présentées pour nous permettre de comprendre ce qui précède. Dans la première, Jésus implique chacun de nous : Réfléchissez avant de commencer à bâtir une tour. Que ce ne soit pas sur un coup de tête ! Avez-vous assez d’argent pour aller jusqu’au bout ? Sinon, renoncez.

  Dans la seconde parabole, il met en scène un roi qui envisage de faire la guerre à un autre roi, mais qui réfléchit avant de se lancer dans cette entreprise : A-t-il assez de soldat pour gagner la guerre ? Constatant qu’il est trop faible, il renonce et demande les conditions de la paix à son adversaire.

   La difficulté à comprendre les exigences de Jésus pour être son disciple, telles qu’il les exprime dans ce texte, nous laissent perplexes : Est-il possible d’être disciple de Jésus ? 

  Examinons ces exigences les unes après les autres.

  D’abord, la haine de ses proches et de sa propre vie vie.

  De nombreuses traductions françaises (TOB, BFC, Segond 21…) ont adouci la radicalité du verbe grec miséô qui signifie haïr. Elles traduisent : Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, etc…

   Mais le texte grec est sans ambiguïté  ; il s’agit bien du verbe haïr. Il exprime une radicalité que n’exprime pas le verbe préférer. Si je dis que je préfère le chocolat noir au chocolat au lait, cela ne veut pas dire que je hais le chocolat au lait.

   Comment Jésus peut-il être aussi radical, alors que lui-même et toute la Bible prône l’amour du prochain et de soi-même ? C’est bien Jésus qui a dit au jeune homme riche : « Honore ton père et ta mère, et, Tu aimeras ton prochain comme toi même » (Mt 19,19). Comment comprendre cette radicalité, alors que l’Évangile de Jean nous dit en toute lettres que Jésus aimait Marthe Marie et Lazare (Jn 11,5), et que quelques versets plus loin, Jésus parle de l’amour qu’il a pour ses disciples ? (Jn 15,12).

   Pour éclairer ce paradoxe, il faut se remémorer ce que l’Ecclésiaste disait en parlant de sa vie : « Je me suis dit dans mon cœur : Allons ! Essaie la joie et tu goûteras au bonheur ! J’ai constaté que cela aussi, c’était de la fumée… J’ai amassé de l’argent et de l’or, les richesses des rois et des provinces. Je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses et ce qui fait le plaisir des hommes : des concubines en quantité. Je suis devenu grand, plus grand que n‘importe qui avant moi à Jérusalem… puis j’ai réfléchi à tout ce que mes mains avaient entrepris…et j’ai constaté que tout n’est que fumée et revient à poursuivre le vent… Alors, j’ai détesté la vie. Oui, tout ce qui se fait sous le soleil m’a déplu, car tout n’est que fumée et revient à poursuivre le vent (Eccl 2,1 ; 8-9 ; 17).

   Étrange discours de la part de cet homme qui avait tout pour lui : Intelligence, sagesse, richesse pouvoir, honneur, amour des femmes, etc… ! 

   Pas si étrange que cela ! Un jour ou l’autre, nous avons tous expérimenté le sentiment que notre vie était vide, que les choses matérielles qui semblaient combler notre vie apparaissaient soudain comme du vent ; que notre pouvoir, notre position sociale, nos diplômes, notre travail, nos réussite, nos relations, même avec les plus proches, n’arrivaient pas à nous combler totalement, et laissaient en nous un vide immense. Dans ces moments, toutes ces choses matérielles ou immatérielles nous apparaissaient soudain comme haïssables, car incapables par elles-mêmes de nous conduire à notre unique vocation : Avoir une relation intime avec Dieu, par Jésus-Christ.

   C’est dans ce sens que Jésus demandent aux hommes de haïr leurs proches et de haïr leur vie s’ils veulent être ses disciples ; c’est pour que rien ne fasse obstacle à la relation intime dans laquelle Dieu, dans son amour pour nous, désire nous voir entrer.

   Comprenons bien : L’estime de soi, l’amour pour sa famille, pour ses proches et son prochain, la vie elle-même, toutes ces choses ont bien une valeur en soi, que ne condamne pas l’Écriture (la Bible). C’est même très important, et de nombreux textes bibliques l’attestent. Mais Jésus met en garde tous ceux qui leur accordent une valeur suprême qui relègue Dieu au second rang. « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ». C’est cet amour exclusif que Dieu nous demande d’avoir pour Lui, qui sera la condition pour apprendre à aimer les autres. En effet, la source de l’amour n’est pas en nous : elle est en Lui, par le Christ.

 Porter sa croix et suivre Jésus.

   C’est la seconde condition donnée par Jésus pour être son disciple.

Je relis le v. 27 dans une version plus fidèle au texte grec (TOB, BFC) : « Celui qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple ».  Ces 2 actions, porter sa croix et suivre Jésus, sont intimement liées ; elles ne peuvent être dissociées. Comment comprendre cette expression ? 

   Il y a un lien étroit entre Jésus portant sa croix, et cette demande faite aux croyants de porter leur propre croix. Jésus a accepté le sacrifice de la croix pour sauver les hommes. Il s’est dépouillé de tout, comme le dit Paul : « Lui dont la condition était celle de Dieu, n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même en prenant la condition d’esclave, en devenant semblable aux hommes » (Phil 2,6-7).

   Le lien entre la croix du calvaire et la croix que Jésus demande aux croyants de porter, c’est le dépouillement. Porter sa croix pour un croyant, ce n’est pas porter ses misères, ses soucis, ses maladies, etc… C’est, comme l’a fait Jésus, renoncer à se suffire à soi-même, à être indépendant, à compter sur ses propres forces, ses valeurs, son intelligence, ses capacités d’entreprendre, ses projets; ses pensées, ses désirs, son temps, ses rêves. Bref, c’est tout remettre entre les mains du Seigneur, jusqu’à sa propre vie, pour qu’il s’en serve pour sa gloire. C’est laisser Dieu nous conduire, comme l’a fait Jésus.

   Pour illustrer ce renoncement à investir sa vie dans ses propres projets, Jésus a  raconté l’histoire de deux hommes, sous forme de parabole. Le projet du premier, c’est de construire une tour. À moins d’être architecte, c’est le projet d’une vie dans lequel il reste peu de place pour autre chose, car toute l’énergie est centrée sur la réalisation du projet. En écrivant ces phrases, je pensais au facteur Ferdinand Cheval qui a consacré 33 ans de sa vie  à construire un monument qu’il a nommé « Le palais idéal ».

   Le deuxième homme est un roi qui veut déclarer la guerre à un autre roi. Jésus ne nous dit pas le but de cette guerre, mais on imagine l’importance que ce roi y accorde, car on ne déclare pas une guerre pour des futilités.

   Quelle leçon Jésus veut-il nous donner ? Il cite ces deux hommes en exemple pour nos vies, parce qu’ils ont su renoncer à ce qu’ils avaient prévu de faire, et qui leur tenait à cœur. Pour nous croyants, une façon de haïr sa vie, c’est renoncer à compter sur ses propres capacités ou sa volonté de réussir par soi-même. Renoncer à considérer ses proches comme le centre, l’essentiel de sa vie, ce sur quoi tout se focalise, ce autour de quoi tout s’organise ; c’est renoncer à l’illusion de l’auto suffisance et de l’autonomie. Renoncer à limiter l’existence à son MOI et à l’univers qui va avec ; renoncer à tout ce qui me donne de la valeur, à mes yeux et aux yeux des autres. 

   C’est le verbe, « renoncer » qui le maître-mot de notre texte. C’est d’ailleurs le verbe que Jésus emploie au v. 33, juste après les 2 paraboles : « Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut pas être mon disciple ».

    Nous avons tous tendance à comprendre que le verbe « posséder » ne concerne que les choses matérielles : une maison, une voiture, un compte en banque, etc… Dans ce verbe, Jésus englobe aussi les chose immatérielles auxquelles ont tient parfois plus qu’aux choses matérielles : Éducation, savoir, position sociale, pouvoir, notoriété, succès etc… Tout cela peut constituer un obstacle pour devenir disciple de Christ, si nous n’apprenons pas à les haïr, c’est-à-dire à renoncer à ce qu’ils orientent et gouvernent notre vie. Souvenons-nous de ce que Paul écrivait à propos de la fierté qu’il ressentait, avant sa conversion, d’être un Juif irréprochable : « À cause de Jésus, j’a accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures afin de gagner Christ » (Ph 3,8)

   Au début de cette méditation, je posais la question : Avec de telles exigences de la part de Jésus, est-il possible de devenir son disciple ? 

   Le danger, c’est de croire que l’on peut devenir disciple du Christ par soi-même, sans renoncer à tout, à force d’actes pieux, de sacrifices, de bonnes œuvres qu’on a choisies soi-même et dont on est maître et fier.

   Dans la dernière partie du texte (v. 34 et 35), Jésus semble dire que le croyant qui veut se faire disciple à la force du poignet, sans renoncer à tout, est comme du sel qui n’a plus de saveur. Il est inutile, car il n’entre pas dans le plan de Dieu.

   Jésus n’a-il pas dit en parlant de ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre » (Mt 5,13).

   Alors, pour bien comprendre cette dernière partie du texte, je propose d’interpréter ainsi les paroles de Jésus : Être disciple est une bonne chose, mais si le disciple devient fade, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? C’est-à-dire  en quoi servira-t-il son Maître ?

   Je crois que ce texte nous dit qu’il est aussi impossible de devenir disciple de Christ par soi-même que d’être sauvé par ses œuvres !

   On ne décide pas de devenir disciple : C’est Christ qui nous choisit comme disciple : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit Jésus, mais moi je vous ai choisis et je vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15,16).

   De même que la foi est un don, porter sa croix c’est renoncer à tout ce qui nous rend auto-suffisant. Cela aussi est donné au croyant. C’est l’œuvre de l’Esprit en lui qui lui permet de comprendre et de mettre en pratique cette parole de Jésus : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).

   Vouloir suivre Jésus sans renoncer à tout, c’est se leurrer sur sa condition de disciple. On ne peut pas se faire disciple de Christ par soi-même. Mais Christ, lui, le peut. Mieux que cela : Il le veut ! Alors, lâchons prise et remettons-nous entièrement entre les mains du Dieu d’amour qui nous appelle à le servir, et disons-lui : Seigneur, je ne suis pas digne d’être ton disciple, mais tu m’appelles à l’être. Alors, change et guéris en moi tout ce qui a besoin de l’être, pour que je puisse te servir comme tu le désires.

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