Luc 13, 22-27
À première lecture, les paroles de Jésus sont dures à entendre. Et on se demande bien : Mais qui peut être sauvé ?
Cette question n’est pas nouvelle ; elle a toujours occupé l’esprit des hommes de tous les temps. Pour ceux qui croient à l’existence de Dieu, l’idée de ne pas être sauvé est générateur d’angoisse. Pour atténuer cette angoisse, l’Église a jadis trouvé des subterfuges qui contrebalançaient les paroles radicales de Jésus : elle a inventé les notions de « mérites », de « purgatoire » et d’ « indulgences ». Un moyen de se rassurer à bon compte, en quelque sorte !
Exprimé autrement, on pourrait aussi dire que ces subterfuges ont endormi les consciences, et fait croire que la relation que Dieu désire avoir avec les hommes est une simple camaraderie qui ne les empêche pas de se comporter comme ils l’entendent. Il y quelques années, Michel Polnareff chantait : « On ira tous au paradis ». Alors, à quoi bon s’en faire ! Je vous fais grâce de la suite des paroles iconoclastes qui prennent le contre-pied des paroles que Jésus prononce dans le texte que nous avons lu.
Essayons de comprendre ce que Jésus veut nous dire dans ce texte, en ce qui concerne le salut.
Remarquons d’abord que Jésus allait de villes en villages dans le but d’enseigner. Enseigner quoi ? Le texte ne le dit pas, mais on peut être certain, en lisant ce passage, qu’il annonce l’Évangile, c’est-à-dire la Bonne Nouvelle du salut qui permet aux hommes d’entrer dans le Royaume de Dieu.
Il a aussi un détail qui mérite d’être souligné : le premier verset nous dit que Jésus « faisait route vers Jérusalem », c’est-à-dire la ville où il a été jugé, condamné, crucifié, et où il est ressuscité.
C’est comme si Luc voulait nous montrer que, pour Jésus, il n’y avait pas de temps à perdre : Puisque son séjour sur Terre allait bientôt prendre fin, il voulait annoncer au plus grand nombre possible que « le Royaume de Dieu était proche », et qu’il était temps pour les hommes de se repentir (Mt 4,17). Il voulait qu’ils comprennent qu’on n’entre pas dans le Royaume de Dieu comme on entre dans une cafétéria !
J’attire maintenant votre attention sur le fait qu’à partir du 3e verset, Jésus ne parle pas d’une situation réelle, mais d’une situation hypothétique : (Lecture des v. 25-27).
Comme vous l’avez remarqué, tous les verbes sont au futur : Cette projection dans le futur montre aux hommes ce que l’avenir leur réserve si leur relation avec Dieu ne change pas.
Lorsqu’on tient compte de cette remarque, on se rend compte que Jésus ne condamnent personne, comme on aurait tendance à le comprendre. Jésus ne fait qu’exhorter ses auditeurs ; il les met en garde, il les avertit.
Il y a une énorme différence entre une condamnation et un avertissement : Une condamnation met fin à toute possibilité de changement. Au contraire, un avertissement ouvre toutes les possibilités de changement, si on le prend au sérieux. C’est ce que Jésus veut faire comprendre aux personnes qui l’écoutent. Car, remarquez que c’est une seule personne qui pose la question : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? », mais que dans sa réponse, Jésus s’adresse à tous les autres. Bien sûr, c’est à nous aussi que Jésus s’adresse, même si nous vivons 20 siècles plus tard.
v. 24 : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». Le texte grec est plus radical : « Luttez pour entrer par la porte étroite »
Dans une lettre qu’il adresse à Timothée, Paul utilise aussi le vocabulaire de la lutte, et du combat dans le même domaine : « Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé » (1 Tm 6,12).
Ce texte de Paul éclaire la parole de Jésus. En effet, on pourrait se dire que si Timothée a été « appelé à la vie éternelle », c’est une chose acquise, et il n’y a donc pas à lutter.
Ce que Paul veut dire, c’est que la vie éternelle est promise à tout homme, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2,4), mais, comme Jésus, il parle d’une lutte pour accéder au salut : « Combats le bon combat de la foi… ».
Rien, dans la vie n’est acquis sans combat, que ce soit pour être président de la République, champion du monde du 100 mètres, pour acquérir un métier, ou pour être fidèle l’enseignement de Jésus. Ceux qui affirment que la vie chrétienne est facile devraient s’interroger sur la façon dont il la vive.
Quand on parle de lutte et de combat, c’est qu’il y a un ou des adversaires. Quel sont-ils ?
En tant que chrétien, on pense immédiatement à ce que la Bible appelle « l’ennemi », c’est-à-dire Satan (Mt 13,28). Cet ennemi-là utilise toutes les ruses possibles pour détourner les hommes de suivre Jésus et de lui obéir. Il connaît nos faiblesses, quel que soit leurs noms, et cherche à nous y enfermer pour nous détourner d’une relation sincère, vraie et durable avec Christ. Car, vous le savez, le péché non confessé coupe notre relation avec Dieu.
Mais il y a aussi un autre ennemi presque aussi redoutable : c’est notre nature pécheresse qui nous colle à la peau depuis notre naissance. Inutile de nous lamenter à propos de cette nature : nous en avons tous héritée ; nous sommes tous à égalité ! Mais, en nous envoyant son Esprit, Jésus nous permet de la vaincre, en nous faisant passer par une nouvelle naissance, une naissance spirituelle, qui fait de nous des êtres nouveaux capables de suivre et d’obéir à Jésus.
Cela ne signifie pas que le combat contre notre vieille nature soit gagné immédiatement et définitivement. Cela signifie que, jour après jour, Dieu nous donne toutes les armes pour le gagner. Encore faut-il se servir de ces armes avec persévérance et foi.
C’est ce que Jésus veut dire lorsqu’il exhorte ses auditeurs : « Luttez pour entrer par la porte étroite ».
Une lutte est épuisante, lorsqu’elle dure longtemps et lorsqu’on lutte avec ses propres forces. C’est bien la raison pour laquelle un chrétien doit, chaque jour, rechercher la présence de Dieu dans la prière et la méditation de la Parole pour combattre avec les armes et les forces qu’il reçoit de Dieu.
J’insiste sur « chaque jour ». Tout laisser aller, toute paresse, toute légèreté dans ce domaine, conduisent inévitablement à la régression de la foi. L’amitié la plus forte entre les êtres ne résiste pas longtemps à l’éloignement, à l’absence de dialogues, d’échanges et d’attentions… Il en est de même dans notre relation avec Dieu. Sans que nous en ayons conscience, notre nature humaine et notre ennemi se liguent souvent pour nous faire oublier cette vérité. Soyons-en conscient !
Regardons le v. 25 : « Quand le Maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte, et que, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte et à dire : Seigneur ! Ouvre-nous ! Il vous répondra : Je ne sais d’où vous êtes. »
Ce dialogue est instructif : Les gens qui frappent à la porte et qui supplient le maître de la maison de leur ouvrir, sont de bonne foi. Ils pensent connaître cet homme, et ils n’en reviennent pas de l’entendre dire qu’il ne les connaît pas.
Alors, ils veulent lui prouver qu’il se trompe ; ils veulent lui rafraîchir la mémoire : « Mais vous avons mangé et bu devant toi, et tu as enseigné dans nos rues ». Ils sont toujours de bonne foi : ils sont persuadés qu’il suffit que Jésus les ait vu attablés, en train de manger et de boire, ou qu’il les ait vu assister à ses enseignements, pour que ce Maître puisse dire qu’il les connaît.
De quelle connaissance parlent-ils ? D’une simple connaissance de voisinage ! Et pourtant, elle leur suffit pour dire qu’ils connaissent Jésus. Mais ce n’est pas la connaissance dont Jésus parle. Être vu en train de manger ne veut pas dire partager un repas avec Jésus. Être vu en train d’assister à l’enseignement de Jésus ne veut pas dire qu’ils l’ont accepté, et que leur vie en a été changée.
Il en est de même pour nous et nos contemporains : Être vu au culte ou à la messe, être présent aux fêtes de l’église, participer financièrement à la vie de la communauté ne veut pas forcément dire que nous sommes disciples de Christ, c’est-à-dire que nous nous engageons à son service, que notre vie tout entière et nos pensées sont tournées vers Jésus, appartiennent à Jésus. Féliciter le pasteur à l’issue du culte pour sa « belle prédication » ne veut pas dire qu’on va mettre en pratique ce qu’il a dit de la part de Dieu.
Frères et sœurs, c’est grave de faire preuve de légèreté dans notre relation avec le Seigneur ! C’est grave de ne pas comprendre ce que Jésus veut dire lorsqu’il parle de le connaître ! C’est terrible d’imaginer que nous connaissons Jésus, d’imaginer que nous sommes chrétien, et de penser qu’un jour nous pourrions l’entendre nous dire : « Je ne sais pas d’où vous êtes ; éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice »
Oui, c’est grave, parce que c’est lui qui a le dernier mot, car c’est lui qui dit la vérité ! Notre salut ne dépend pas de ce que nous pensons. Il dépend de ce que Dieu a décrété.
Je veux répéter ce que j’ai dit plus haut : Dans ce texte, Jésus décrit ici une situation hypothétique, une projection dans l’avenir.
Mais, bien qu’elle soit hypothétique, cette situation décrit une réalité très répandue dans le monde chrétien : En effet, nombreux sont ceux qui confondent religion et foi.
Ici, Jésus ne condamne pas : il prévient, il met en garde. La porte étroite ne sera définitivement fermée que pour ceux qui restent sourds aux appels réitérés à se convertir, que Jésus adresse à tous les hommes, sans en oublier aucun.
Dans l’épitre aux Hébreux, l’auteur cite par 3 fois un verset du Ps 95 : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs » ( He 3,7 ; 15 ; 4,7).
Frères et sœurs, la voix de Jésus a retenti, ce matin, dans le texte que nous avons lu.
Pour ceux qui n’ont pas encore ouvert leur cœur à Jésus, mais qui prennent à cœur ses avertissements, la porte s’ouvrira, quel que soit l’âge auquel on lui donne sa vie, et même après une vie de patachon. Souvenez-vous de la vie du jeune fils de la parabole du fils prodigue (Luc 15). Jésus n’est pas venu sur notre terre pour juger et condamner les hommes. Il a donné sa vie pour les sauver : « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,17). Pour que les hommes soient sauvés !!!
Mais, tout de suite après, Jésus ajoute : « Celui qui croit en lui n’est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du fils unique de Dieu »( v. 18).
Comprenons que le verbe croire n’a la même signification quand on dit : « Je crois au Père Noël » et « Je crois en Jésus ». Croire en Jésus englobe et engage la totalité de sa vie, de ses actes, de ses pensées. Croire en Jésus, c’est lui faire confiance, c’est lui appartenir, c’est vouloir le suivre, l’honorer, faire sa volonté, lui consacrer sa vie.
Pas besoin d’être Pape, prêtre, pasteur ou missionnaire pour consacrer sa vie à Dieu. La consécration qui entraîne tout le reste, c’est celle d’un cœur habité par le Saint-Esprit et prêt à obéir à ce qu’il nous dit.
Jésus n’a que faire de la religion qui consiste au simple respect de lois et de pratiques religieuses. Ce que Jésus attend de tout homme, ce pour quoi il a donné sa vie, c’est la consécration totale du cœur, à sa personne.