Lc 15,11-32
Cette parabole bien connue aborde la question de la relation entre Dieu et les créatures de Dieu que nous sommes. C’est dire qu’elle nous concerne tous. Aujourd’hui, je voudrais souligner un aspect de cette relation, qu’il est essentiel de comprendre et de vivre pour que notre foi soit sereine et porte des fruits : Chaque croyant, converti et né de nouveau, est fils ou fille de Dieu, au même titre que Jésus est Fils de Dieu.
Bien sûr, ce statut de fils ou fille de Dieu ne fait pas du croyant un Dieu, comme l’est Jésus. Le croyant reste une créature ; mais en ce qui concerne la relation d’amour, Dieu ne fait aucune différence entre un croyant et son propre Fils, Jésus.
Cette affirmation peut paraître surprenante pour beaucoup de croyants qui pensent que l’amour que Dieu a pour Jésus ne peut pas être identique à l’amour que Dieu a pour ses créatures.
Cette façon de penser n’est pas biblique ; elle et démentie par Jésus lui-même lorsqu’il apparaît à Marie-Madeleine, après sa résurrection. Que lui dit-il ? : « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père (Jn 20,17). Ceux que Jésus qualifie de frères, ce sont ses disciples. Jésus et tous les croyants ont un seul et même Père : Dieu. Ils sont donc tous fils et filles de Dieu, et donc aimés de Dieu, au même titre que Jésus.
Revenons à la parabole. Elle nous montre les relations entre un père et ses 2 fils. Le plus jeune ne supporte plus la tutelle de son père. Il réclame sa part d’héritage (v. 12), mais il veut surtout s’affranchir de son père, car il pense ainsi trouver sa liberté. Il veut prendre son indépendance.
Vous savez ce qui est arrivé : il a gaspillé son héritage, dans une joyeuse débauche, au point qu’il n’a même plus de quoi manger. Il en est arrivé à envier la nourriture que mangeaient les cochons qu’il gardait, le seul travail qu’il avait trouvé pour survivre ! De fils qu’il était chez son père, il devient ouvrier chez quelqu’un qui l’exploite. De plus, il garde des porcs, animaux que les Juifs considéraient comme impurs. Tout cela parce qu’il voulait être indépendant de son père, et vivre sa liberté !
Il aura fallu que la faim le tenaille pour qu’il comprenne qu’il était dans une impasse : « Rentré en lui-même, il se dit : Combien d’employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je péris à cause de la famine. Je me lèverai j’irai chez mon père et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes employés » (v. 17-18).
Remarquez que la repentance de ce fils n’est pas dictée par un motif particulièrement spirituel : C’est la faim, et rien d’autre, qui le pousse à revenir vers son père. Je souligne que ce motif très terre-à-terre n’est pas condamné dans la parabole. Quel que soit le motif qui fait revenir une créature vers son Créateur, Dieu s’en réjouit et l’accueille à bras ouverts.
L’histoire de ce fils, c’est notre histoire à tous. Comme Adam et Ève, nous sommes tous des créatures de Dieu, donc des fils de Dieu. Mais notre nature pécheresse, héritée d’Adam et Ève, nous entraîne tous loin de Dieu, dans le même désir d’indépendance. Même si nous n’avons jamais vécu dans la débauche, notre péché nous coupait de la relation que Dieu veut avoir avec chacun de ses enfants. Si nous sommes revenus dans la maison du Père, c’est que, comme ce fils, nous avons aussi éprouvé la faim, chacun sous des formes différentes. Sans en être conscient, nous avions la nostalgie et l’envie de retrouver l’intimité avec Dieu qu’ont connue Adam et Ève avant la chute. C’est ce que dit un verset de l’Ecclésiaste : « Dieu a mis dans le cœur des humains la pensée de l’éternité » (Ec 3,11). Pourquoi ? Parce que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26). Et c’est par le sacrifice de Christ que ce retour a été possible.
Mais dans quel état d’esprit sommes-nous revenus dans la maison du Père ?
Je vais m’attarder un moment sur l’attitude du jeune fils, pour montrer qu’il ne faut surtout pas faire comme lui. En effet, il n’a pas compris qui est son père, ni ce qu’est l’amour d’un père pour son fils.
Avez-vous remarqué comment ce fils envisage les futures relations avec son père après avoir gaspillé sa vie et tout l’argent de son héritage ? Il ne peut pas imaginer qu’après un tel échec, une telle ingratitude de sa part, un tel péché, une telle offense envers son père, ce dernier puisse encore l’accueillir comme son fils, puisse encore l’aimer : il accepte l’idée d’être mis sur le même plan que les serviteurs de son père : « Traite-moi comme l’un de tes serviteurs (v. 19). Cette idée qui semble tellement ancrée dans la pensée de ce fils, n’a pas effleuré un seul instant la pensée du père. Quoi qu’ait fait son fils, il sera toujours son fils. Il attend son retour depuis des années, sans doute. Chaque jour il surveillait la route pour voir s’il ne le voyait pas revenir. Lorsqu’il le voit enfin revenir vers lui, il se précipite à sa rencontre, le cœur tout ému (v. 20). Il ne lui laisse même pas le temps d’exprimer jusqu’au bout sa repentance ; il ne lui fait aucun reproche ; il le couvre de baiser. Son fils est revenu, c’est tout ce qui compte pour lui ; et c’est en tant que fils qu’il l’accueille, immédiatement. Peu importe le temps de l’absence, peu importe la faute : « Le père dit à ses serviteurs ( grec : esclaves) : Apportez vite la plus belle robe et mettez-la lui ; mettez-lui une bague au doigt, et des sandales pour ses pieds. Amenez le veau gras et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé » (v. 22-24).
C’est en tant que fils ou fille que le Seigneur nous a accueillis lorsque nous sommes revenus vers lui, lorsque nous avons enfin compris qu’en voulant ou en pensant gagner notre indépendance et notre liberté en vivant sans Dieu ou loin de Dieu, nous nous précipitions en réalité vers la servitude. La liberté de l’homme passe par la dépendance à Dieu. Pourquoi ? Parce qu’un fils possède tout ce que possède son père (v. 31). Avant qu’Adam et Ève aient succombé à la tentation d’indépendance vis-à-vis de Dieu, ils possédaient tout : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin » (Gn 2,16). Mais ils ont voulu plus que tout. Ils ont voulu ce que Dieu leur avait interdit : le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ils l’ont eu ! Mais ils ont tout perdu, y compris ce sentiment extraordinaire de se sentir fils et fille de Dieu, c’est-à-dire aimé par Dieu. Ils ne voyaient plus Dieu comme un père, mais comme un juge dont ils avaient peur ! (Gn 3,10).
C’est exactement la situation du fils aîné de la parabole. Jaloux de voir son père faire la fête pour son vaurien de frère, il laisse éclater sa colère : « Il y a tant d’années que je te sers, jamais je n’ai désobéi à tes ordres, et à moi, jamais tu n’as donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis » (v. 29). Le père n’en croit pas ses oreilles : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi » (v .31).
Ce fils aîné n’a pas compris non plus l’amour de son père. Il était le fils de la maison, mais il se comportait comme un serviteur. Avez-vous remarqué les mots qu’il emploie pour parler de la relation avec son père ? « Il y a tant d’années que je te sers ». Dans le texte grec, le verbe qu’il emploie s’applique au service d’un esclave. « Jamais ne n’ai désobéi à tes ordres ». Tous ces mots décrivent un rapport patron / employé, et non pas père / fils. En ne comprenant pas qu’il était aimé comme un fils, il s’est privé de tout ce qui lui appartenait de droit. Bref, il ne connaissait pas l’intimité qu’un fils peut avoir avec son père, parce qu’il pensait devoir mériter l’amour de son père grâce à son assiduité au travail, à son obéissance, et en ne demandant rien à son père pour se faire bien voir de lui. Le plus terrible, c’est qu’il pensait réellement bien faire !
Combien de nos contemporains pensent que l’amour de Dieu se mérite !
Cette parabole nous est donnée pour nous détourner des fausses compréhensions que nous avons de l’amour de Dieu, et pour nous remettre dans la bonne compréhension : Lorsque la faim nous a poussés à revenir dans la maison de notre Père céleste, c’est en tant que fils et fille bien-aimés que Dieu nous a accueillis. Il nous a serrés dans ses bras. Nous n’avons pas mérité son amour ; et pourtant, il nous aime, il n’a jamais cessé de nous aimer, même lorsque nous étions sourds à ses appels et rebelles. Il n’a jamais fait allusion à notre passé pour nous accuser. Celui qui accuse, c’est Satan ! Dieu, lui, a donné son Fils, Jésus, pour que l’obstacle du péché soit détruit entre Dieu et nous, afin que nous puissions partager la même intimité qu’avaient Adam et Ève, avant la chute.
Que le Saint-Esprit nous permette de comprendre la grandeur de l’amour de Dieu pour nous, afin que nous puissions vraiment entrer dans l’intimité avec Dieu. Ce n’est pas Dieu qui met des distances entre lui et nous. C’est nous qui n’avons pas compris comment Dieu nous aime. Pourquoi avons-nous tant de mal à le comprendre ? Parce que notre amour pour les autres est si pauvre et si conditionnel, que nous n’arrivons pas à comprendre que l’amour que Dieu a pour nous est inconditionnel.
La grande intimité voulue par Dieu ne fait pas de lui un « copain ». Dieu est Dieu, et nous , nous sommes ses créatures. Mais en ce qui concerne l’amour que Dieu nous porte, il n’y a plus de distance : Le Père nous aime du même amour dont il aime son Fils, Jésus. Et c’est pour cela que nous pouvons appeler notre créateur et Père céleste : Papa.
« Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption, par lequel nous crions : Abba ! Papa ! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8,15-16).
Gardons toujours cela présent à l’esprit dans toutes les circonstances de notre vie.